Extrait de "Dans les coulisses de la Formule 1", de Jean-Luc Roy. A savourer...

-------------------------

Malgré toute la surveillance dont il fait l’objet, le paddock réserve donc des surprises plutôt sympathiques. L’une d’entre elles, c’est la rencontre que fit un jour Jacques Laffite, au bord du port de Monaco, pendant les essais d’un grand prix. Au détour du motor-home de son écurie, il croisa deux filles plutôt mignonnes, plutôt fébriles, et fascinées par tout ce qu’elles voyaient autour d’elles pour la première fois. Après en avoir tant rêvé, à partir des photos, ou des reportages qu’elles suivaient frénétiquement à la télévision. Se débrouillant par tous les moyens, elles sont parvenues à suivre pratiquement tous les Grands Prix européens grâce à beaucoup de persévérance et d’imagination. Un après-midi, beaucoup plus tard, Jacques demanda à ses deux copines, Laurence et Isabelle, de lui raconter leurs péripéties. Il n’allait pas être déçu… 

(…)

 Séduit par tant de bonne humeur et d’enthousiasme, Jacques, en toute bonne foi, propose aux deux filles de venir dîner avec lui le soir. Mais avant d’accepter, elles tiennent à lui faire part d’une petite histoire édifiante…

 « « Alors, les filles, encore des problèmes ? »

 Les lèvre en avant pour parer aux baisers les plus fougueux, les yeux mi-clos laissant deviner les minutes d’extase qu’éprouve cet homme à en être un et à pouvoir le faire savoir aux dames, il avance vers nous d’une démarche assurée.

 « Figure-toi que Monsieur Contrôleur défend son Grand Prix de Belgique avec ferveur et refuse obstinément de nous faire pénétrer dans les stands.

-Pas possible ! (S’adressant au Belge) Vous ne pouvez pas me faire ça, ce sont mes fiancées ! Non, non, elles ne font pas de bêtises ! Mais non, elles n’embêtent personne ! D’ailleurs elles vont rester près de moi, dans mon stand. Mais non, elles ne vadrouilleront pas ! Comment : qui je suis, moi, d’abord ? Je vous en prie, vous me vexez ! Vingt-six noms de pilotes à apprendre par cœur, c’est quand même pas la mer à boire. » 

Et nous voici assises sur ses genoux, dans son stand, avec une poignée de journalistes qui flashent à tout-va, et des jeunes filles transies qui se meurent d’amour et de convoitise en nous jetant des regards foudroyant de haine remâchée.

 « Que faites-vous, ce soir, les filles ?

-Eh bien comme d’habitude, nous allons mander notre chauffeur afin qu’il nous conduise jusqu’au casino le plus proche où nous rouletterons quelque peu afin de dépenser les poignées de dollars qui nous encombrent, puis nous rentrerons à l’hôtel où une suite douillette aura été préparée avec goût, et nous prendrons un bain moussant jusqu’à trois heures du matin avant de nous faire un shampooing au champagne – il paraît que c’est bon pour les racines.

-Sérieusement, si vous avez envie d’une bonne nuit de repos et d’une douche bien chaude, je vous emmène à mon hôtel, il y a largement assez de place pour trois.

-Non merci, on n’a pas de pass –eh oui-, alors on préfère rester ici.

-Ah, mais il n’y a aucun problème, demain matin vous rentrerez ici en voiture avec moi !

-Oui, mais non.

-Non ? Mais pourquoi non ? Vous pourriez avoir une bonne douche et un bon lit… »

 Nous lui faisons part en deux mots de l’expérience Ligier, et notre homme s’outre en moins de temps qu’il n’en faut à Ayrton Senna pour battre le record de vitesse au tour…

« Comment ? CoMMent ?! COMMENT ??!!

-Oui, alors tu comprends, c’est pas pour toi spécialement, c’est un principe, depuis, on refuse toujours ce genre d’invitations, même les plus gentilles. »

 Alors là, c’est d’Artagnan qui surgit devant nous, sa grande cape rejetée fièrement sur l’épaule, bien campé sur ses jambes, l’épée vengeresse.

 « QUOA ? MOA ?! Mais enfin, mesdemoiselles, je suis pilote, MOA, je cours, MOI, demain, mesdemoiselles !!! Et mon hygiène de vie, alors ?! Qu’est-ce que vous en faites, de mon hygiène de vie ??? Comme si nous avions l’esprit à courir la gueuse la veille des essais pour la pole position ! Franchement, vous me décevez. Restez donc dans votre camion et dans votre lavabo si ça vous chante ! Moi, vous savez, personnellement… »

 Il faut dire quelque chose, il va s’étouffer.

 « Bon, d’accord…

-Non, non. Moi, je ne vous emmène pas. Pour que vous pensiez des insanités sur mon compte toute la soirée, merci bien !

-Mais puisqu’on te dit qu’on veut venir, là !! »

Alors en route vers la 4L, car si nous partons, elle nous suit. Après tout, s’il nous invite dans sa baignoire, il peut inviter la 4L dans son garage.

« C’est à vous, le truc vert, là ? »

Non mais, pour qui il se prend ?

« C’est super ! On va laisser ma Mercedes au paddock et prendre la vôtre. Enfin, prendre votre Renault 4. »

Il est complètement hystérique ?!

« J’peux conduire ? »

Il EST complètement hystérique.

Et le voilà qui est aux commandes, surexcité, comme si la 4L était la dernière sortie de chez McLaren.

Douche paradisiaque. Savonnette à volonté. Shampooing à gogo. Mini-golf partie endiablée. Bien que notre Champion révise légèrement les règles du jeu à son avantage. Puis…

« Dites, les filles… On fait l’amour à trois ? »

L’affaire est classée, et le genre masculin avec. 

A noter que ce pilote de fond de grille ne nous adresse plus guère la parole depuis que nous avons effrontément refusé les faveurs qu’il nous proposait avec tant de délicatesse. Mais enfin, et notre hygiène de vie, alors ?! »

Bon tant pis, cette fois, Jacques était refroidi. Insister davantage serait automatiquement interprété d’une certaine manière, or ses intention à lui étaient vraiment sans arrière-pensées. Il prit donc poliment congé des deux intrépides et quitta le paddock au volant de sa Mercedes 560 quand on frappa à la porte de droite. Isabelle et Laurence étaient là. Il allait encore apprendre beaucoup de choses, ce soir en dînant, sur l’envers du paddock.